La construction des nouveaux réacteurs nucléaires bénéficie de tous les arrangements possibles pour permettre aux chantiers de débuter avant mai 2027 et donc avant la fin du mandat d'Emmanuel Macron. Le Gouvernement et une partie de députés et sénateurs zélés et pronucléaires travaillent main dans la main pour lever toutes les difficultés réglementaires et législatives, quitte à adopter des dérogations pourtant très discutables…
Le texte établit que « les projets de réacteurs peuvent être qualifiés, par décret en Conseil d'État, de projet d'intérêt général ». Tous les délais sont ainsi optimisés, comme la procédure de mise en compatibilité du schéma de cohérence territoriale, du plan local d'urbanisme ou de la carte communale. Dans l'exposé des motifs, le ministère de la Transition énergétique justifie le procédé par une urgence climatique et par la situation internationale, qui a révélé « la dépendance de notre économie et de nos modes de vie aux énergies fossiles importées ».
L'idée est de construire ces nouveaux réacteurs sur des centrales nucléaires déjà existantes, afin de bénéficier des infrastructures. « Le foncier est là », souligne-t-on au ministère de la Transition énergétique. Mais, pour cela, il faut déroger à la Loi littoral encadrant strictement les nouvelles installations proches du domaine maritime, qu’à cela ne tienne, ces installations pourront y déroger.
Ne parlons même pas des débats publics pour l’installation des EPR2, les deux derniers débats prévus ont été purement et simplement annulés pour les EPR2 de Penly (Seine-Maritime) après que les sénateurs ont adopté en première lecture la « loi d’accélération » des futurs chantiers.
Dans son projet, EDF a identifié trois sites qui pourront accueillir chacun deux nouveaux réacteurs : Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Nord) et un troisième à choisir entre Bugey (Ain) et le Tricastin (Drôme). Un seul EPR existe aujourd'hui, à Flamanville, mais son chantier a connu de nombreux retards et sa mise en service, prévue à l'origine en 2012, est désormais espérée fin 2023 au mieux. Le projet de loi avance systématiquement des coûts de réalisation dans la fourchette basse de toutes les estimations. Petite piqûre de rappel : en 2007, le chantier de l’EPR de Flamanville devait durer cinq ans, pour un coût de 3,3 milliards d’euros. Il devrait finalement durer au moins dix-sept ans, pour une facture désormais estimée à 19,1 milliards d’après les calculs de la Cour des comptes.
Car ce texte de loi a été présenté au Parlement dans des délais raccourcis alors même que les résultats de la concertation nationale sur le mix énergétique, organisée d'octobre 2022 à mi-janvier 2023 par le ministère de la Transition énergétique, n’ont pas été publiés. Visiblement, l’urgence climatique varie selon l’énergie concernée.
Face à ces nouveaux chantiers et devant la montagne de dettes déjà existante et annoncée cette semaine, EDF avance ses pions et propose de nombreuses mesures pour contourner ses difficultés. Comme dénoncé dans le Canard Enchaîné du 1er février, EDF met la pression sur l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour une accélération et une simplification des procédures. L’objectif, annoncé par Cédric Lewandowski, directeur exécutif d’EDF est clair : obtenir une prolongation de la durée d’utilisation des réacteurs existants : « notre parc est adapté pour aller à 60 ans ». Cette affirmation claironnée devant la commission d’enquête de l’Assemblée consacrée à l’indépendance énergétique ne se base sur aucun consensus scientifique ni technique et semble oublier les nombreux travaux impactant déjà fortement le parc actuel. Les 56 réacteurs actuels ont été conçus pour tourner durant 40 ans initialement. Leur prolongation à 50 ans avait déjà fait l’objet d’un vaste tollé sous la mandature Hollande.
EDF souhaite alléger les contraintes et donc les coûts de surveillance et d’entretien des réacteurs actuels au risque donc d’accroître la dangerosité des accidents. Par exemple, l’entreprise plaide pour une vérification technique des canalisations tous les 20 ans comme aux Etats-Unis contre 10 ans actuellement. Pourtant, ce cycle de vérification a permis de déceler le problème de corrosion impactant toute une génération de réacteurs nucléaires mis à l’arrêt l’an dernier.
Autre angle des pronucléaires, réduire l’indépendance de la sûreté nucléaire et comme par hasard, le Gouvernement a annoncé sa volonté de fusionner l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Plusieurs centaines de salariés de l’IRSN ont manifesté et se sont mis en grève le 20 février contre ce projet.
« Nous craignons d’être sous l’autorité directe de l’ASN, et donc de perdre l’indépendance de nos analyses techniques, d’avoir potentiellement une pression pour rendre des avis techniques qui seraient plus adaptés à ce que voudrait l’Autorité », « voire l’exploitant », c’est-à-dire EDF, Orano ou le CEA, souligne Philippe Bourachot, délégué syndical central CGT parlant au nom de l’intersyndicale.
« S’il y a un problème de sûreté important dans une installation, ce n’est pas pour le plaisir que les réacteurs sont arrêtés », explique Véronique Loyer, chargée de mission à l’IRSN. « Par exemple sur les corrosions sous contrainte, c’est EDF qui a demandé à arrêter les réacteurs. Mais pour les redémarrer, il faut qu’il prouve que la sûreté est assurée. Et il y a eu un avis (de l’IRSN) disant non, ce réacteur-là, on ne peut pas le redémarrer sans avoir réparé parce que les conditions de sûreté ne sont pas assurées. Demain est-ce qu’on forcera l’IRSN à ne pas dire sa vraie position ? » s’inquiète-t-elle en craignant « un risque de perte de confiance » du public. Et derrière, « c’est un accident nucléaire qu’on peut craindre ».
Tous ces faits démontrent le travail méthodique actuel pour réduire ou supprimer les contraintes du nucléaire en France en privilégiant une vision financière et comptable, comme dans beaucoup d’autres domaines malheureusement. C’est oublier la spécificité et la dangerosité du nucléaire. On ne pourra pas dire, on ne savait pas.
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